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Le Chemin des Hirondelles

Le Chemin des Hirondelles, El Camino de las Golondrinas 

 

 

 

Entre France et Espagne sur les hauteurs de quelques vallées basco-béarnaises, de discrets sentiers sont connus sous le doux nom du « Chemin des Hirondelles »…

A la fin du XIX°S, la France s’industrialise. Les territoires au réseau hydrographique dense sont les premiers à se voir dotés de centrales produisant de l’hydroélectricité. La production de biens manufacturés s’intensifie.

 

Une petite ville de la province basque de la Soule, Mauléon, devient un haut lieu de la fabrication de l’espadrille. Cette chaussure aux origines espagnoles et à l’étymologie Occitane (« espardi(l)os » / sandale de sparte ) était appréciée par tous, du paysan au militaire en passant par le mineur de fond. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui firent croitre de façon spectaculaire la production d’espadrilles jusqu’au début du XX°S. Légère, économique et confortable, un mineur pouvait en acheter une paire pas semaine ! Le dynamisme de quelques industriels locaux aux réseaux sud-américains bien développé ouvrit de nouveaux marchés.

 

Bref, pour gérer cette croissance des petites mains étaient nécessaires. Mal payés et harassants, la couture, le piquage et la charge de travail ne passionnait pas les foules ! C’est donc en partie sur le versant sud des Pyrénées qu’une main d’œuvre jeune, dynamique et surtout dans le besoin, fût trouvée.

 

Cet entre deux siècles voyait des écarts sociaux considérables d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre. Les conditions de vie des villages, des Vallées Aragonaises et Navarraises étaient rudes et propices à l’exode. De plus, le contexte géopolitique de l’époque sur la péninsule et outre atlantique, guerre carliste, guerre en Amérique vidèrent les villages d’une bonne partie des hommes et avec eux, des sources de revenus. Les femmes trouvèrent des opportunités professionnelles sur le versant français des Pyrénées.

 

C’est dans ce contexte que se mit en place une migration localisée sur les deux versants des Pyrénées. Les chemins empruntés pour rejoindre la ville de Mauléon depuis les villages de Anso, Isaba, Roncal… suivaient des itinéraires de montagne dignes des grands « treks » parcourus par les sportifs aujourd’hui. Des cols à près de 1800m étaient franchis avant de longer les profondes gorges de ce vaste massif calcaire. Ehujarré, Kakouéta, Bimbaleta…ces noms de sommets, de cols…étaient comme des repaires pour ces aventurières forcées. Les magnifiques paysages de ces terres d’estives, la richesse de troupeaux rencontrés, le sinistre et la majesté des vautours si nombreux dans le secteur accompagnaient la traversée. L’insouciance de leur jeune âge leur faisait certainement oublier la présence de l’ours et reléguer à l’anecdote les sinistres légendes pyrénéennes. La perspective de revenir au pays avec un pécule améliorant l’ordinaire devait donner des ailes aux hirondelles.

 

 

 

 

Arrivées à la ville, des « guest-houses » et autres « lodges » d’avant l’heure les attendaient ! L’hébergement sommaire et collectif se faisait chez les locaux. Une fois installées, la visite touristique était remise aux calendes grecques et le travail pouvait commencer. Dix à douze heures pour une journée de labeur payé un peu plus que le prix d’un kilo de pain en 1900. Les salaires augmentèrent par la suite sans pour autant atteindre les sommets…Souletins ! Afin d’augmenter ses revenus et afin de s’occuper durant les longues nuits d’hiver, le généreux DRH permettait à l’ouvrière d’emporter du travail à domicile !

 

 

 

 

Arrivée en octobre, l’Hirondelle repartait en mai après 8 mois de travail. Le retour au village, aux racines offrait une sérénité financière. La jeune espagnole pouvait constituer son trousseau, aider sa famille et surement aller travailler aux champs. Cette migration localisée et dédiée à une économie précaire dura une quarantaine d’années. Les conflits du XX°S, la fermeture des mines de charbons, la mondialisation eurent raison de l’industrie de l’espadrille.

 

Si « une hirondelle ne fait pas le printemps », la « golondrina » a fait le travail avec entrain et le sourire aux lèvres. Lorsque je marche sur ces lignes de crêtes, que je descends ces profondes gorges, je ne peux m’empêcher de penser à ces jeunes Aragonaises, à ces vaillantes Navarraises qui sous les affres de l’histoire et de leur condition ont retroussé leurs manches, levé leur visage pour franchir des montagnes. Cette belle aventure réhaussée par la beauté des paysages de ce doux coin des Pyrénées, ne laisse jamais personne indifférent.

 

 

A bientôt peut être sur le Chemin des Hirondelles…

Eric Ducat

 

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